Petites Nouvelles de Sideulà

Petites nouvelles, petits contes ou historiettes qui me viennent au fil du temps et que je retiens et rédige parfois. Sans aucune prétention, bien sûr ; mais il est bien difficile de résister à la feuille blanche quand tout semble déjà en place dans la tête...

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Location: Région parisienne

Sunday, October 22, 2006

Premier vol

Gérard ne se sentait pas en grande forme. C’était normal après tout, il s’était levé à quatre heures du matin pour prendre le tout premier vol, car il était attendu pour huit heures trente à Toulouse. Le fait de s’être couché tard, n’arrangeait pas les choses, bien évidemment. Dans l’aéroport quasi désert à cette heure là, il avait essayé sans succès de dormir, mais le bruit de la porte automatique à cinq mètres de là qui n’arrêtait pas de s’ouvrir et de se fermer, ainsi que la lumière crue des néons avaient fini par le décourager.

Il s’était dépêché en se préparant et comme toujours dans ces cas là, il avait oublié quelque chose. Cette fois–ci, c’était un bouquin pour s’occuper avant et pendant le vol. Il n’avait plus qu’à attendre qu’arrive l’embarquement…
Peu de monde était arrivé lorsqu’ils furent autorisés à accéder au couloir d’embarquement et il pensa que le vol ne serait sans doute pas complet.
Lorsqu’il monta à bord, parmi les premiers, l’avion était quasiment vide et, autant pour être rapidement dehors à l’arrivée que par flemme d’aller plus loin, il s’installa dans la deuxième rangée de gauche, contre le hublot, son imperméable sur le siège libre à sa gauche.
Iil aimait bien être sur le côté de l’avion, contre le fuselage dont la courbe offrait un appui propice pour dormir ou s’assoupir. De plus, on bénéficiait de la vue : lumières de la ville le soir ou fleuves et forêts dans la journée.

A sa gauche, dans l’encadrement de la porte ouverte, apparaissaient un à un les passagers qui arrivaient petit à petit, seuls, en couple ou par petits groupes. Femmes chargées de multiple sacs et accompagnées d’enfants en bas age arrachés au sommeil, amoureux en vacances qui partaient tôt pour avoir encore plus de temps, retraités heureux ou grognons, quelques jolies jeunes femmes qui passaient le regard lointain et même quelques cravatés comme lui, qui se déplaçaient manifestement pour leur travail.
Bientôt, le troisième siège, celui qui donnait sur le couloir, fut occupé par un jeune homme non rasé qui le salua en s’asseyant. Les gens continuaient d’arriver, préférant aller vers le fond où de nombreuses places étaient encore libres. Les passagers arrivaient toujours, au compte gouttes mais régulièrement. Manifestement, un goulot s’était formé au contrôle des billets ou à celui de bagages et le départ n’aurait pas lieu à l’heure prévue.

Il se souleva et regarda vers l’arrière de l’appareil. Il révisa sa première impression : si ça continuait d’arriver comme ça, l’avion serait très certainement complet.
C’est ce qui arriva et il fût surpris et peut-être même un peu vexé de constater que la place à son côté, celle sur laquelle il avait posé son imperméable restait vide. A croire que personne ne voulait s’asseoir près de lui ! L’heure du décollage était maintenant dépassée de 12 minutes et les derniers retardataires arrivaient hors d’haleine, pressant le pas.
L’hôtesse et le steward s’affairaient, qui téléphonant les dernières informations avec le contrôle passagers, qui s’excusant dans les haut-parleurs du petit retard que l’on tenterait de récupérer en vol. Leur fébrilité et quelques bruits au niveau du train d’atterrissage indiquaient qu’on allait incessamment pouvoir bouger.

Un dernier passager arriva et s’orienta directement sur la place à l’imperméable avec un léger sourire. Lui-même n’avait qu’un blouson sur lui qu’il garda et pas de bagages.
Gérard qui regardait distraitement par le hublot à se moment, s’était figé dès qu’il avait aperçu l’individu. Son regards était devenu fixe et il avait pâli. Il avait retiré l’imperméable, par pur réflexe, l’esprit complètement absent.
Chacun de nous possède dit-on un ou plusieurs sosies dans le monde, mais se pouvait-il qu’il existe des sosies dans le temps ?
L’homme qui s’était assis à son côté était la réplique exacte d’un ami disparu depuis près de vingt ans. La ressemblance était trop frappante, pour qu’il ne soit qu’un simple sosie ; ce ne pouvait être qu’un fils ou un membre proche de sa famille. N’y tenant plus, il fût sur le point de le questionner mais à ce moment la voix du steward éclata dans les haut-parleur : « La compagnie One Air est heureuse de vous accueillir à bord de ce vol à destination de …. ». Le steward parlait vite, cherchant à réduire maintenant au maximum la durée des consignes habituelles qui doivent être annoncées avant le décollage. Il continua sans reprendre son souffle « Notre commandant de bord aujourd’hui est …. ».

Gérard, oubliant les paroles des procédures, était perdu dans le passé, vingt ans avant. Ils s’étaient connu et très rapidement une amitié forte les avait soudés, en faisant deux frères, heureux ensemble comme s’ils avaient usé leurs fond de culottes assis sur les mêmes bancs, depuis l’école maternelle.

Leurs épouses avaient été surprises de la soudaineté et de la force de cette amitié qui les amenaient à s’inviter régulièrement l’un chez l’autre, discutant, riant et refaisant le monde à eux deux en oubliant souvent les autres convives autour de la tables. Elles en avaient conçu un étonnement un peu jaloux, mais s’étaient vite habituées, et si elles s’entendaient bien entre elles, leur relation n’avait pas l’intensité de celle de Gérard et Frédo.

Ils avaient fait connaissance dans les vestiaires du gymnase local. Lors de la rentrée de septembre, ils s’étaient inscrits pour pratiquer le hockey en amateurs. Sportifs modérés tous les deux, ils avaient choisi cette discipline, virile, brutale et intense pour « mouiller la chemise » et se dépenser après leurs heures de bureau. A chaque leçon, ils arrivaient tous en courant, tendus après les embouteillages ou les transports en commun, essoufflés de s’être dépêché depuis le parking ou la station de bus. Ils se changeait en vitesse et se précipitaient sur le terrain, au rythme du sifflet de l’entraîneur. Ce n’était qu’après le cours que vidés et apaisés par l’eau chaude la douche, ils prenaient le temps de se détendre et de parler un peu avant de replonger dans le trafic pour rejoindre leur foyer. Certains commentaient avec le prof des tactiques vues lors de matches avec des équipes championnes, à la télévision. D’autres abordaient le programme de l’année et les rencontres prévues avec d’autres clubs dès le trimestre suivant. Pendant ce moment de détente le prof avait institué un rituel : pour signifier que l’heure était venue de quitter le gymnase et de se séparer, il demandait à un gars du club qui était là depuis l’an dernier déjà d’allumer la radio-lecteur de cassette du club pour passer ce qui devait être l’hymne du club, un morceau rythmé et combatif, plein de guitares hurlantes et de percussions qui n ‘arrivaient pas à couvrir la voix d’un chanteur qui demandait à se battre et à gagner. D’ailleurs les mots « fight » et « win » revenaient souvent dans le texte et il n’était pas très dur de retenir les paroles.

Ce devait être le deuxième ou le troisième cours après la rentrée et au moment de mettre le morceau en marche, le gars, distrait ou encore épuisé, avait déclenché la radio et touché au bouton des fréquences avant de démarrer la fameuse cassette. La voix limpide d’une soprano s’éleva, chantant un air d’opéra. Pendant que la plupart roulaient des yeux étonnés ou tournaient vers le poste un visage surpris, Frédo et Gérard avaient simultanément avancé rapidement la main en un geste signifiant : « attends, ne touche à rien, laisse continuer ». Passé le premier mouvement, ils avaient retenu leur geste, la grande musique n’étant manifestement pas le genre préféré du club. Les autres n’avaient rien remarqué mais ils avaient chacun vu l’expression et le geste de l’autre. Un clin d’œil avait suffi pour qu’ils se comprennent et dès qu’ils s‘étaient retrouvé dehors avaient abordé le sujet, un peu gênés et surpris de cette coïncidence au départ, mais très vite leur passion de l’opéra l’avait emporté et ils avaient comparé les mérites des cantatrices et parlé des dernières représentations à laquelle ils avaient assisté, se promettant de se rencontrer avec leurs épouses, dès le week-end suivant.
Ce fût le départ de leur grande amitié et ils étaient vite devenus inséparables, avec une connivence et une complicité qui en firent des adversaires redoutables au hockey. Dans le bistrot ou le groupe allait parfois prendre un bière après les matches, les veilles de vacances, ils rivalisaient, racontant des histoires drôles, et leurs rires éclataient joyeux, flottant au-dessus de ceux du groupe, communiqués à l’ensemble des clients qui tournaient une tête souriante ou hilare vers le groupe.
Quelques mois plus tard, un camion avait brûlé un stop et Frédo était là, au mauvais endroit et au mauvais moment. Le choc avait été terrible et la mort instantanée.

« ….Les masques à oxygène tomberont automatiquement à votre portée », les monteurs montèrent en puissance et l’avion commença sa route vers la piste d’envol.
Dès l ‘envol effectué, le bruit diminua et Gérard questionna, un peu embarrassé, son voisin qui regardait distraitement l’hôtesse se dessangler de son siège, face aux passagers du premier rang.
« Excusez-moi, vous ressemblez beaucoup à un ami, peut-être êtes-vous un proche, il s’appelait… ». Avant qu’il ait fini, l’homme le regarda avec un sourire doux et répondit lentement, avec infiniment de précaution, presque de la timidité, comme s’il ne voulait pas brusquer les choses : « effectivement, je le connaissais bien et je sais que vous vous entendiez très bien tous les deux, car vois-tu Gérard, je suis Frédo… ».
Gérard ouvrit de grands yeux et bredouilla : « mais ce n’est pas possible, tu es…, tu es… ».
Son voisin répondit : « Oui, et c’est parce que nous nous entendions bien qu’on m’a demandé de t’accompagner, tout cela va être nouveau pour toi. Alors, tu sais, on essaie de faire… de faire du mieux possible …. ».

Après un bref instant pendant lequel Gérard, yeux exorbités essayait de comprendre ce qui lui arrivait, Frédo continua : « Tu te souviens de ton cauchemar cette nuit ? c’est là que ça t’est arrivé, mais tu ne t’en es pas rendu compte jusqu’à maintenant, car tout se déroulait comme d’habitude.
Dès notre arrivée à l’aéroport, nous prendrons une autre sortie…ou une autre entrée, si tu préfères ».

Villabona, 2005

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